Pascal:
Salut Napoléon, tu as fais une très
grosse impression à la Traverse (voir Festival Blues de Traverse),
pourtant il semble qu'en France très peu de monde te connaisse, peux tu nous dire
qui tu es ?Napoléon:
Je suis une goutte d'eau dans l'océan du blues, lequel est vaste... à ce
titre, je suis d'ailleurs un peu né de la dernière pluie puisque Napoleon Washington n'existe vraiment que depuis
environ deux ans. Auparavant, j'ai passablement tourné (huit ans) avec le Crawlin' Kingsnake Blues Band, un trio
électrique qui en plus des tournées "normales", faisait une tournée par
année en Europe en tant que backing band pour Rock Bottom,
harmoniciste de St-Petersburg (Floride) considéré comme le "Godfather of
the Tampa Bay blues scene". Rock
est décédé il y a une année environ, assez précisément à la période où je
prenais sérieusement le virage de la formule acoustique... en fait, alors que le Crawlin' était en tournée aux Etats-Unis, nous
étions chez Rock un après-midi et
j'étais assis devant l'entrée de sa maison, en train de jouer sur une superbe
tricône National que je lui avais emprunté. Il m'a entendu, il est sorti, m'a
regardé et a pris son téléphone pour booker une journée de studio. Avec le reste
du band, nous avons enregistré quelques titres pour son prochain album et c'est un
peu lui, suite à ça, qui m'a encouragé à persévérer dans la veine purement
acoustique, que j'explorais déjà depuis un moment. Sinon, pour le détail, je
vis en Suisse, près de la frontière française, à environ une heure de Besançon.

Pascal:
Pendant Blues de Traverse, tu as fait ton concert, une
masterclass et l'animation au bar de la Traverse pendant la soirée Blues Rock, comment as
tu trouvé l'accueil du public ?
Napoléon:
Magnifique! il y a vraiment eu des moments magiques, et je ne
m'attendais pas à un accueil aussi chaleureux. Il semble que la Normandie ait gardé
le meilleur de ce que les GIs ont apporté, à savoir (en plus d'avoir connu
les joies du chewing-gum avant tout le monde), l'habitude d'aller VOIR des
bands sur scène... je déteste ce travers que nous avons, nous musiciens, qui
nous pousse à pleurnicher sans arrêt sur nos conditions de travail (toujours
plus dures pour nous que pour les autres, etc.)... Cependant, il est vrai que
le marché de la musique live subit une solide récession depuis
quelques années... dès lors, voir une salle comme la Traverse pleine un jeudi
soir pour un festival de blues est une exception! Marc
Bourreau me semble faire un magnifique travail de programmation, mais
il faut saluer un public qui ne boude pas son plaisir et sait garder cet esprit en
vie. Les sourires et les instants suspendus m'ont semblé nombreux, tant pendant les
concerts que la masterclass.
Pascal:
Est ce que cela t'a donné envie de revenir en France ? si oui quel sont tes projets chez
nous ?
Napoléon:
Bien sûr ! De toute manière, le blues n'est pas dissociable du voyage
et l'envie d'aller PARTOUT est toujours présente... Cela dit, un accueil
comme celui du public de Normandie donne forcément envie de revenir. Quant
aux projets, nous sommes en discussion pour obtenir une distribution de
qualité sur la France pour "Hotel Bravo", mon
premier album paru en décembre 02. Pour l'instant, nous disposons d'un très joli
magasin en ligne, que l'on trouve sur http://www.napoleonwashington.com .
Les projets de tournée pour la France devraient se préciser en fonction de
l'accueil de l'album, et bien sûr, nous étudions toute proposition.

Pascal:
Parlons un peu matériel, nous t'avons vu jouer sur une magnifique guitare à résonateur
métallique, j'ai cru comprendre que ne souhaites pas qu'on l'appelle Dobro.
Napoléon:
C'est-à-dire... avant toute chose, je tiens à préciser que je ne
voudrais pas passer pour un de ces puristes académiques et tatillons qui, à la
fin d'un concert, trouvent judicieux d'assomer le public venu gentiment
lui serrer la pince avec des remises à l'ordre scientifico-inutiles. Peu
importe le nom que l'on donnera à mon instrument s'il a pu faire plaisir. Ceci
dit, si nous avons le temps d'en parler plus longuement, alors... bien que nous
ayions l'habitude d'utiliser "Dobro" comme terme générique pour les guitares
à résonateur, c'est une marque.
Essayons de faire court: avant l'amplification électrique, les instruments à cordes
(guitares, mais aussi banjos, mandolines et même violons) n'avaient pas la partie
facile au sein des big bands. Déjà minoritaires, ils peinaient à se faire
entendre, couverts par des sections de souffleurs autrement bruyants: le
problème était latent... si bien que dans les années 30 en Californie, un
guitariste du nom de George Beauchamp
rencontra deux fabricants de banjos, Joseph Dopyera
et son fils Rudy, et leur fit part du
problème. Après de nombreuses recherches et tentatives, les Dopyera mirent au point
pour Beauchamp un modèle d'instrument dont la puissance sonore se trouvait
amplifiée, en gros, par un cône d'aluminium sur lequel reposaient les cordes: le
système avait plus ou moins l' effet d'un porte-voix. Assez rapidement, ce fut un
succès et Beauchamp s'associa aux frères Dopyera (le père s'était retiré)
pour fonder la compagnie "National String Instruments Corporation".
En fait, ce sont EUX qui ont inventé la guitare à corps de métal, afin
d'améliorer encore les performances du cône. Après quelques années de succès
commercial, Beauchamp et les frères Dopyera se brouillèrent, et ces derniers
quittèrent National. malheureusement pour eux, ils partirent sans leurs brevets,
que Beauchamp, un tordu de première, avait déposé à son nom. Ils fondèrent
alors une nouvelle compagnie: Dobro (pour DOpyera BROthers)
mais durent trouver un moyen de contourner leur problème de brevets. Ils mirent au
point un truc plus ou moins réussi consistant à retourner le cône et à le
suspendre à une sorte d'armature métallique que l'on appelle "Spider Bridge".
Ils connnurent un certain succès; néanmoins le son des Dobros est
nettement plus pointu et nasillard, et c'est un instrument qui a plutôt trouvé son
terrain du côté de la country et du bluegrass. D'où parfois une certaine
réticence chez nous autres nègres (de coeur ou de peau) à être associés aux
rednecks. Tout ça pour dire... la mienne n'est ni un Dobro ni une National,
même si le modèle est très proche du "Style 0" de ces derniers.
Elle m'a été construite par Mike Lewis, de
Fine Resophonic ( http://www.finresophonic.com
), qui avec son complice Pierre Avocat
a bien aimé ce que je faisais et s'est dit que s'il attendait que je puisse m'en
offrir une, il risquait de perdre patience. Ils me l'ont donc confiée
"contre bons soins", j'en suis encore ému... Fine Resophonic
construit environ 25 guitares par années, universellement acclamés, pour des gens
comme Louisiana Red, Clapton, John Campbell ou Michael Messer.
Pascal:
Je n'ai pas une très bonne oreille, mais il m'a semblé que tu utilises des open
tunings mineurs ce qui ne me semble pas très courant.
Napoléon:
C'est exact, bonne oreille (bleue) donc! Il y a une richesse
particulière aux open mineurs. Mais attention: on risque à tout bout de champ de
verser dans la guimauve planante... les open mineurs sont un vrai
challenge, demandent beaucoup de précision et de doigté. Skip
James n'utilisait pratiquement que ça. Quoi qu'il en soit, peu
importe la technique: l'important est d'avoir des histoires à raconter.
Pascal:
Tu cites Skip James, est ce une de tes influences ? quelles sont les autres ?
Napoléon:
Disons simplement que sa musique me touche... comme celle de Blind Willie Johnson ou de Son
House, par exemple. Je ne sais pas exactement de quelle façon ils
apparaissent dans ma musique, mais ils y sont sans doute. Etrangement, j'ai davantage le
sentiment d'être influencé par des artiste qui font une musique assez différente de la
mienne, comme Dr. John ou Freddie King, ou même Mounir
Bachir par exemple. Mais les influences exclusivement musicales ne me
semblent pas tellement importantes. Comment des gens comme Keb'
Mo', Doug McLeod ou John Mooney font du Blues une musique réellement
contemporaine, ça, c'est très, très important pour moi. C'est de ce type d'influence
que je me réclame.

Pascal:
Coment définis tu ton style ?
Napoléon:
Le nom qu'on peut lui donner m'est un peu égal (tant qu'on en parle...!). Si
quelqu'un y voyait simplement du blues acoustique contemporain, je serais flatté.
Pascal:
J'ai cru comprendre que tu te défini "Nègre de Coeur", est ce que ça
sous-entend qu'il faut être noir pour jouer le Blues ?
Napoléon:
Non, je ne crois pas. Pour faire du Blues, il faut disposer d'une vie (dans
n'importe quel état) et être prêt à en parler, fût-ce par bribes. Par contre, je suis
convaincu qu'il existe une approche blanche et une approche noire de la musique, très
différentes l'une de l'autre. Tant pis pour le politiquement correct. Nous sommes
assurément tous égaux, mais pas pareils. Quelle connerie! Penser les humains tous
semblables, c'est passer à côté de richesses magnifiques. En prendre conscience, puis
apprendre à connaître et repérer les différences permet de s'en servir... le blues
blanc et le blues noir ne sont pas les mêmes, comme le blues urbain et le blues rural
ne sont pas pareils. Je ne pense pas qu'il soit obligatoire d'être noir pour faire du
blues noir. Mais il faut savoir ce que l'on fait.
Pascal:
Merci beaucoup, Napoléon, pour cet entretient.
Napoléon:
Merci pour tout, A bientôt

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